Poussières
de sons
Un texte pour Rémy Jacquier
Exposition "Suspens" à la Cour
ma2024rs
Pierre Rochigneux
Aux fils
tendus de ma mémoire j'ai préparé des résonances. Tendus, ténus, tordus,
variations. J'y pose les clefs pour les ouvertures, j'y veux les chants que
j'oubliais, ce qui revient, ce qui est sans que je l'aie trop voulu, j'ai mes
écarts, des fugacités, autant de pauses. Comme certains oiseaux, ça s'envole,
ça retombe, ça veut l'air ou le nid, trouvant les insectes disparus. Comme des
soleils cherchant leur Est, je lance des sons cherchant à raisonner. Qui
pourront se perdre ou faire écho. S'écraser, rebondir, s'éclairer.
Je -
Mais je ne sais pas m'écouter.
- Tu me
le dis cent fois.
Je - Je
n'entends rien. Mes doigts sont sourds.
- Oui,
ils écrivent, ils ne savent pas faire deux actions dans le même instant.
Je -
Là, regarde, ils tremblent.
- Ils
ont froid. Ils vont se frotter entre eux, comme des potes qui se racontent des
histoires.
Ils vont se chauffer et tout ce qu'ils
vont toucher prendra leur chaleur.
Je -
Brûlant ?
-
Dépend des amitiés, ça. Dépend des idées qu'on défend, dépend des ivresses
qu'on contient.
Je -
S'ils n'ont rien à dire ?
- Alors
ce sera de l'amusement. Du spectacle, de l'enthousiasme, rien de sérieux, de la
joie humaine.
Je - Suffisant
?
De quoi
remplir en partie l'univers, dans un éphémère hésitant. Par les traces, les
contours, dans une représentation sur une scène sans estrade, qui patiente. Les
poussières de la nature se maquillent sans miroir, ont un peu le trac, se
lancent, s'exposent aux interrogations. Ce sont les sons fragiles de la
poussière qui veut se faire oublier et pourtant qui revendique ses formes,
celles qu'elle a prises des volumes posés là. Je les possède, dit-elle, par ma
patience, par mes envols et par mon calme ; ne me dérangez pas, voyez comme je
ne vous fuis pas, ne me donnez pas la douleur d'avoir peur de vous. Ne me
nettoyez pas, je suis la poussière propre, je suis toutes les usures et plus tard je
serai vous comme vous serez moi.
Ainsi va l'eau, dit le nuage,
ainsi l'eau prend racine, ose un arbre baladeur. Ça rigole, là-haut, ça rigole
au poulailler, ça s'amuse au paradis. Ainsi va son air, son air de rien, son
air de notes, sornettes, ainsi vont les monts des mondes devenant le sable
attendant la vague des ondes qui danseraient mais, timides, qui attendent qu'on
se retourne. Encore qu'on se retourne pour un face-à-face. Nous accordant.